Enfin une adaptation du Magasin des suicides

Le père. 45 ans. Mince, élégant, brun, les cheveux plaqués en arrière, comme un danseur de tango qui vendrait de la mort. Fine moustache, prestance, sourire commerçant. Même si, au plus profond de lui, tout cela le touche infiniment. Au moins, il ne le montre pas, et tient le coup, pour satisfaire les clients.

Avis à celles qui ne connaissent pas la différence entre un dessin animé et un film d’animation : regardez « Le magasin des suicides« , de Patrice Leconte. Adapté du roman de Jean Teulé, ce film était un vrai pari, plutôt bien réussi. Bourré d’humour vraiment noir, il retrace (presque) fidèlement l’histoire initiale. L’histoire ? Dans une ville morose où la seule échappatoire réside dans la pendaison, l’empoisonnement ou la défenestration, le commerce des Tuvache se porte à merveille. Ils vendent depuis plusieurs générations tout le nécessaire pour réussir son suicide. Mais la crise guette. Lucrèce et Mishima, les patrons du magasin, sont les malheureux parents de Marilyn et Vincent. Et quand Lucrèce accouche d’Alan, tout change. Le bambin respire la santé et la bonne humeur, mettant à mal la sinistrose indispensable à la bonne tenue du commerce. Ajoutez à cela une grande sœur adolescente qui tombe amoureuse et le paternel, lui, à deux doigts du suicide, rien ne va plus chez les Tuvache.

La bande annonce

Cinéaste précipitamment parti à la retraite, Patrice Leconte, le réalisateur, renoue avec la passion de ses débuts : le dessin. Lui qui a pas mal griffonné dans le magazine Pilote dans les années 1960 revient au cinéma, après les drôlissimes « Bronzés» ou «Les vécés étaient fermés de l’intérieur» et nous offre une très enlevée adaptation du roman à succès de Jean Teulé.  Ce n’était pourtant pas sans raison qu’aucun autre ne s’y était risqué avant lui, la très courte oeuvre de l’écrivain étant un régal de drôlerie, de jeu de mots et d’esprit de controverse. Impertinent, dérangeant, macabre, « Le magasin des suicides » de Jean Teulé et sa très caustique plume égratignait les petits commerçants, ose aborder avec humour le thème tabou, douloureux du suicide, sur lequel il toujours délicat ou malhabile de plaisanter. Mais avec son style à la fois morbide et désopilant, il était parvenu à démystifier les non-dits qui gravitent autour de la mort volontaire. Par un retournement de situation particulièrement bien orchestré, il arrivait même à nous offrir un bel hymne au positivisme.

Tim Burton Français ?

Quid du film ? Style un peu trop caricatural, noirceur détournée et chansons complètement absurdes (voire un peu ennuyantes sur la fin), les choix artistiques font penser au Tim Burton de « L’étrange Noël de Monsieur Jack ». Moins la poésie triste. Quoiqu’il en soit, « Le Magasin des suicides » a de la gueule. Tellement que je vous déconseille d’y emmener des enfants : ce film n’est décidément pas un dessin animé. Les vingt premières minutes de film auraient d’ailleurs été difficilement supportables si elles n’avaient pas été tournées en animation. Une animation réalisé en relief, mais en deux dimensions. Concrètement, ce ne sont pas les objets qui se détachent, mais les plans du dessins qui apparaissent à différent niveaux. Résultat : on ressent parfaitement la sensation d’étouffement qui plane sur la ville. En revanche, la 3D n’apporte pas grand-chose, préférez le voir sans effet.

Le livre du « Magasin des Suicides » de Jean Teulé est sorti en 2007.

Pour le reste, les lectrices de Teulé reconnaîtront son humour noir et le scénario, assez classique. Seul vrai bémol à ce film : des personnages presque plats, qui versent assez rapidement dans la caricature. On en arrive même à se demander pourquoi le jeune Alan est si heureux. Le sujet aurait pu permettre à Patrice Leconte beaucoup plus d’audace mais le réalisateur a décidé d’en faire quelque chose de plus doux, presque pasteurisé avec une fin malheureusement bien différente de celle initiale (la fin imaginée par l’auteur lui paraissant trop pessimiste).

Preuve que ce film vaut les quelques euros que vous pourriez mettre dans une séance de cinéma, même Jean Teulé reconnaît (au Point) avoir été « soufflé [par] ce très beau film ». A voir, revoir, lire et relire en période de grosse déprime, « le Magasin des suicides » est une bouffée d’oxygène pure qui redonne le sourire à coup sûr.

Publié le 21 novembre 2012, dans Bouillon De Culture, Ciné, et tagué , , , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 2 Commentaires.

  1. J’aime beaucoup le graphisme des personnages !

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  2. Je connaissais pas vraiment ce livre, mais ça me tente vachement de voir le film!!

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