Campagnes électorales : c’était comment, avant ?

Au cas où vous seriez passée à côté, les élections présidentielles, c’est dans moins d’un mois. Comme on a toujours tendance à dire que c’était mieux avant, j’ai décidé de vous rafraîchir la mémoire avec un petit bond dans le temps pour vous ramener aux campagnes présidentielles d’antan. Toute ressemblance avec la réalité n’est pas fortuite.

En 1974, Valéry Giscard d’Estaing a ancré sa campagne présidentielle sur l'idée de rajeunissement. Photo SIPA/UNIVERSAL PHOTO

  1. Les idées

Le chômage, l’emploi, le pouvoir d’achat ou la santé publique, voilà que ce qui préoccupent les Français de 2012. Est-ce si différent d’il y a trente ans ? Pas tellement. Evidemment, avec De Gaulle, la problématique tient beaucoup à la paix et à l’indépendance de la France mais dès 1974, la crise du pétrole pose une problématique qui a comme un air de déjà-vu : comment va évoluer la situation économique ? Ni une ni deux, François Mitterrand saute sur l’occasion : les socialistes seront unis pour faire face à cette crise.

Les événements de mai 1968 ont réveillé les consciences écologistes et, nouveauté dans le paysage politique, un candidat, l’illustre inconnu René Dumont, les représentera dès 1974. Mais surtout, c’est l’apparition d’un petit nouveau devenu aujourd’hui troisième force politique ex-æquo : le FN. Un extrême contre le communisme et les grèves, contre l’avortement et pour la défense des retraités qui n’inquiète pas encore, puisque VGE dira lui-même que « la lutte est entre le centre et l’extrême-gauche ».

L’Europe, création encore récente, et ses enjeux seront également de la partie mais la tendance est globalement à sa défense. Désarmement nucléaire, nationalisation d’entreprises et réformes sociales sont aussi au programme pour, je cite, « donner à chacun le temps de vivre ». Aide aux personnes âgées, assurance maladie, projet de loi sur les personnes handicapées, promotion de la femme (sic !) ou encore abaissement de l’âge de la retraite (re sic !)… On semble encore bien loin du « travailler plus pour gagner plus ».  Avec le deuxième choc pétrolier de la fin des années 1970, reviennent la hausse du chômage et l’importante inflation, rien de bien nouveau. Il faudra attendre 1995 pour voir émerger les « nouveaux problèmes de société » : l’immigration ou encore la fracture sociale.

  1. Les outils de campagne

Clip de François Mitterrand en 1988

Entre Twitter, Facebook, les clips, les débats télévisés ou la radio, les candidats d’aujourd’hui sont (trop ?) sur tous les fronts, difficile de les louper. Mais souvenez-vous il y a trente ans (mais si, allez, un petit effort), à l’époque des prémices de la télévision et des sondages, quand Twitter n’avait pas encore été inventé. Eh bien la campagne, c’était avant tout des affiches officielles, des professions de foi envoyées à chaque électeur, des réunions électorales et, évidemment les journaux. Par exemple, en 1988 François Mitterrand publie dans la presse quotidienne une « Lettre à tous les Français » d’une cinquantaine de feuillets, mixte assez familier de philosophie du pouvoir, de récit de la cohabitation et, peut-être le plus important, d’orientations programmatiques. Tout ça, bien sur, aux frais du parti socialiste. Mais il ne faudra pas longtemps pour que la télévision arrive en tête de gondole des préférences des électeurs : en 1988, 62% pensent que c’est le moyen le plus utile pour savoir comment voter. Dites-vous qu’en 18 ans, la télé n’a perdu que quatre points. D’ailleurs, le premier débat contradictoire télévisé est organisé après le premier tour des élections de 1974 par l’ORTF, opposant VGE et François Mitterrand. Il aurait été suivi par 23 millions de téléspectateurs. C’est à cette occasion que VGE propose son slogan : « le changement sans le risque », allusion aux risques de désordre politique et économique que pourrait provoquer la victoire de la gauche.

Et si on se moque aujourd’hui assez volontiers du slogan de Nicolas Sarkozy « Une France Forte » et de celui de François Hollande, « le changement c’est maintenant », on semble avoir volontiers oublié le « Jacques Chirac, le Président qu’il nous faut » de 1981, l’original « Un Président pour tous les Français » d’Alain Poher en 1969 (si vous ne connaissez pas cet homme, sachez qu’en tant que Président du Sénat, il a été deux fois Président de la République par intérim, en 1969 puis en 1974) et la très courte devise de Mitterrand en 1974 : « la seule idée de la droite est de garder le pouvoir, mon premier projet est de vous le rendre ».

Pourtant, les candidats continuent à écrire des livres (les biographies surtout, les candidats adooorent écrire leur autobiographie !), des lettres, à organiser des meetings (pour lesquels ils n’hésitent pas à appeler leurs militants, au cas où ils auraient oublié de venir…) et à sillonner la France. Notez le record de Robert Hue, le candidat communiste de 2002, qui a fait pas moins de 80 déplacements.

Mais les grands gagnants restent la télé et la radio. Les règles juridiques sont de plus en plus stricts, consignant la durée, le format et les formes des émissions officielles. Les candidats sortants bénéficient d’ailleurs du traitement de l’actualité, à laquelle ils prennent souvent part. C’est notamment à cause de cette notoriété légitime que De Gaulle a longtemps refusé de faire campagne, estimant qu’il n’en avait pas besoin. Il a fallu qu’il se retrouve en ballottage pour se rendre compte qu’il devait encore partir à la conquête des Français. Et si vous trouvez que vous voyez trop nos chers candidats, réjouissez-vous de ne pas avoir vécu en 1965 où le temps d’antenne accordé aux candidats à la radio et à la télévision sur les chaines publiques était de deux heures, contre quarante-cinq minutes à une heure en 2007. Avec toutefois la nuance que seul un foyer sur deux était équipé d’une télé en 1965. La télévision, la radio et les médias sont des affaires de marketing, il faut que l’image du candidat soit distincte du programme. Outre les débats politiques houleux, on se souvient de l’affrontement entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand en 1981, qui n’apportaient un contenu politique que minime, c’est l’apparition des clips. Pas des clips comme celui des socialistes pour les procurations, mais des clips profonds et plein de sens, comme celui de Mitterrand en 1988 où en une minute vingt, il retrace l’histoire de la France dans le monde depuis 1789, rien que ça.

Réponse de François Mitterrand à Valéry Giscard d’Estaing, qui l’accusait, sept ans plus tôt, d’être « l’homme du passé ».

          3. Les sondages

Révolution parmi les révolutions de ces trente dernières années : les sondages. Ils deviennent des éléments politiques importants et font la Une de l’Express, France Soir ou le Figaro. La proximité entre les chiffres prédits et les résultats finaux impressionnent. Ce qui n’empêchent pas certains couacs : en 1995, la gauche essuie des échecs électoraux et un combat fratricide ultra personnalisé dans les médias entre Chirac et Balladur, qui entre dans la compétition en faisant confiance aux sondages, fait rage. Chirac se place en homme de terrain quand Balladur affronte l’affaire Schuller-Maréchal (une vaste histoire de trafic d’influence et d’extorsion de fonds), mise en avant par les médias, et que Le Pen se place en victime. L’abstention est élevée et Jospin et Chirac atteignent le second tour, contrairement aux sondages qui annonçaient un duel Chirac-Balladur.

Développés sous la IVe République mais peu médiatisés, les sondages sont contrôlés et peuvent être publiés jusqu’à la fin de la campagne le vendredi à minuit, à la veille de l’ouverture du scrutin, depuis 2002. On assiste à une explosion de cette mesure qui permet de cerner l’image du candidat, les attentes des électeurs et le positionnement des concurrents ; c’est un instrument de persuasion car les sondages pèsent sur la représentation des journalistes qui pèse sur la représentation des électeurs. Si l’électeur devient stratège, certains accusent les sondages de violer la conscience et d’entacher l’impartialité des choix. Dans un mode de scrutin présidentiel à deux tours, certains électeurs peuvent appliquer le vote utile selon les sondages. Seuls les électeurs peu politisés tiennent réellement compte des sondages. Il faudrait entre 5% et 10% d’électeurs votant selon les sondages pour faire basculer un scrutin. L’effet est beaucoup plus fort sur les candidats eux-mêmes, notamment pour la désignation du candidat.

Baromètres, panels, enquêtes, estimations, sondages post-électoraux ou à la sortie des urnes peuvent être commandés par les politiques ou les médias. Au-delà du caractère législatif, les sondages ont évolué, surtout au niveau des questions posées, passant de l’intention de vote ou de l’opinion d’un candidat aux grands thèmes de campagne, dans un contexte de montée des valeurs d’individualisation.

Publié le 28 mars 2012, dans Day By Day, Société, et tagué , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 4 Commentaires.

  1. En effet, Seifenblase, c’est un très bon article, il est bien intéressant ! J’ai appris des choses, et ca ne fait pas de mal avant les élections et tout le tralala ! 😉

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  2. Greta_garbo

    Un article très intéressant, j’ai appris pas mal de choses, et surtout très bien écrit!

    Perso ce sont les sondages qui m’exaspèrent le plus, je ne comprends absolument pas cette obsession du sondage alors qu’il ne représente rien (un panel minime) et qui peut se tromper dans des dimensions dramatiques, on l’a vu un certain 21 avril 2002, dont je me rappelle encore comme si c’était hier…C’est incroyable cette nécessité de savoir tout tout de suite, de s’informer à chaque seconde comme si on cliquait sur le bouton « actualiser » alors que bon nombre de Français ne savent toujours pas qui voter. Cela dit la France est un pays très politisé, les campagnes électorales en Allemagne sont moins proéminentes (?), mais cela a également pour conséquence que les gens sont moins informés. Les Français sont d’ailleurs souvent vu comme un peuple qui est passionné par la politique, et c’est vrai.

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  3. Merci pour cet article, super intéressant !

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  4. Super article Seifenblase, qui permet de se rendre compte que rien ne change vraiment, tout évolue… Moi personnellement je déplore vraiment toutes ces conneries de Twitter et autres petites phrases, cela dit, je ne sais pas comment j’aurais vécu les films institutionnels ringards des anciens candidats… Dur dur !

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