Diane Arbus : la parade des monstres

Diane Arbus est une des plus grande portraitiste du XXème siècle, si ce n’est la plus grande, pour avoir révolutionné l’univers du portrait en peu de temps et finalement, peu de photos. Le travail qu’on lui connait le plus est celui exposé en ce moment au Jeu de Paume : les freaks, les monstres, les marginaux, les transformistes, les bêtes de cirque, au bistrot, à la fête foraine ou chez le coiffeur, et qu’elle immortalisait de manière frontale, brutale, directe, sans mise en scène ni sucres ajoutés.

Diane Arbus grandit dans une famille d’origine juive d’Europe de l’Est et extrêmement aisée. Son père, David, est un commerçant fructueux et goûte à tous les luxes de la vie : appartement immense, chauffeur, gouvernantes pour chaque enfant, autant de signes extérieurs de richesse que Diane s’efforcera d’effacer toute sa vie : « Je suis née tout en haut de l’échelle, et toute ma vie, je l’ai dégringolé aussi vite que j’ai pu« .  Si Diane rejette autant ses origines, c’est peut être parce que l’argent n’apporte effectivement pas le bonheur : pendant que son père travaille et se pavane, sa mère est dépressive et d’une froideur à faire palir un iceberg. Pour autant, enfants et parents sont tous sensibilisés à l’art : papa est un honnête peintre amateur, Howard, le frère, est un poète estimé qui gagnera un prix Pulitzer, et Renée est sculpteur. Diane est la plus douée des trois, mais la plus fragile aussi : elle se pose 1000 questions, n’est sure de rien, et même si ses capacités la distingue, elle renonce à faire des études universitaires.

A la place, Diane tombe amoureuse :  elle rencontre Allan Arbus à 14 ans et ils se marient 4 ans plus tard. C’est ensemble qu’ils commencent la photo.

Dans les années 40, le MoMA de New York se dote d’un département photographique que le couple squatte allègrement. Ils installent dans leur salle de bain une chambre noire, pour se perfectionner techniquement, et finissent par sauter le pas en ouvrant un studio. Allan est derrière l’appareil, Diane donne des idées, et le studio Arbus compte bientôt parmi ses clients les magazines Glamour et Vogue. Mais Diane s’ennuie : l’univers lisse et formaté de la mode la laisse pantoise. Elle part à l’aventure, son Graflex autour du cou, à la recherche d’un sujet. Car Diane ne sait pas ce qu’elle veut photographier.

Woman carrying a child in Central Park - 1956

En 1956 Diane arrête le studio et, motivée par les cours qu’elle prend, ose se lancer enfin : elle déambule dans New York et shoote au hasard de ses rencontres et de ses visites, en plein Central Park ou dans une salle de cinéma.  Son oeil se dirigera assez vite vers les freaks, qui la fascinent et l’intéressent : les monstres de foire, femmes à barbe, hommes serpents, mais aussi nudistes, nains, transformistes, célébrités dépravées et trisomiques deviennent ses sujets favoris. Elle impose à ses sujets son cadrage frontal, son flash violent et aucunement déporté, son dialogue silencieux, son scanner de leur fin fond. Et ça marche : Harper’s Bazaar, Esquire, New York Times, tous s’arrachent le travail violent et si anticonformiste de Diane Arbus.  Avec elle, point de règle des tiers, de mises en scène réfléchie, de cadrage parfait : Diane n’exécutera jamais la photo qu’elle pensait prendre. « Elles sont toujours soit meilleures, soit pires« . Arbus, c’est l’anti Harcourt, pas de lumière travaillée, pas de contraste faconné, juste sa lecture franche et directe de la personne qui se trouve devant elle. Et concernant la composition, elle n’en pense pas moins « J’ai horreur de l’idée de composition. Je ne sais pas ce qu’est une bonne composition. Je suppose que je dois savoir un peu de quoi il s’agit, car j’ai beaucoup tâtonné pour découvrir ce que j’aimais et ce que je n’aimais pas. Parfois pour moi, la composition est liée à une certaine luminosité ou à l’installation d’un certain calme. Parfois, elle est résultat d’erreurs idiotes. Il y a une certaine façon de bien faire et une certaine façon de mal faire, et tantôt je préfère le bien et tantôt le mal est fait. C’est cela la composition.« 

En 1963, Diane décroche la bourse de la fondation Guggenheim.

Child with a toy hand grenade in Central Park, New York - 1962

Retired man and his wife in a nudist camp one morning, New Jersey - 1963

A young waitress at a nudist camp, New Jersey - 1963

Teenage couple in Hudson street, New York - 1963

Russian midget friends in a living room on 100th street, New York, 1963

Mia Farrow - 1964

Two friends at home, New York, 1965

La photographie est un art exigeant soumis aux diktats du cadrage, de la lumière, de la composition, de l’exposition, de la température, etc. Pourtant si règles il y a, il est évident qu’il faut les contourner, et Diane Arbus les connaissait forcément pour les éviter avec autant de brio. Tout le monde n’est pas capable de se passer des structures : encore faut il avoir l’intelligence adéquate. La bonne photo, ça n’est pas celle qui est aboutie techniquement, mais celle qui vous raconte une histoire, et quand une photo déroule dans votre tête un long métrage, c’est qu’à priori, elle est réussie. La plus value d’Arbus, c’est que le film n’est jamais le même, même si vous avez déja vu ses photos 100 fois.

Malheureusement pour Diane et bien d’autres, le succès est une petite pute volage.

A young man in curlers at home on West 20th Street, New York - 1966

Identical Twins, New Jersey, 1967

Superstar at home, 1968

Woman with veil in fifth avenue, New York - 1968

En 1967, elle est exposée au MoMA. Sa série New Documents déchaine les passions. Si les critiques sont dithyrambiques, le public ne sera pas toujours aussi unanime : un visiteur, horrifié par les sujets d’Arbus, si iconoclastes à l’époque, crachera sur un de ses tirages, en plein milieu du musée. Pourtant elle impose la photographie documentaire comme un art à part entière, nécessitant une certaine audace et un intérêt sincère pour les tréfonds de l’âme humaine : « Si j’étais simplement curieuse, il me serait très difficile de dire à quelqu’un : « J’ai envie de venir chez vous, et de vous faire parler, de vous faire raconter l’histoire de votre vie ». Je veux dire que les gens vont me répondre : « Vous êtes cinglé ». De plus, ils vont être bigrement sur leurs gardes. Mais l’appareil photo est une sorte de passe-partout. Chez beaucoup de gens, il y a une envie qu’on leur accorde une certaine attention et c’est le genre d’attention qu’il est raisonnable de leur offrir« .

A cette époque, Allan délaissé par sa talentueuse et inspirée femme, quitte Diane. Elle se retrouve seule dans le laboratoire de développement qu’elle avait toujours partagé jusqu’alors. Il faut tout ré-apprendre. Elle n’y parviendra pas.

New Documents est révolutionnaire mais n’a rien de commercial : le travail de Diane Arbus effraie ses clients potentiels. Elle se résoud à donner des cours, cours qui éprouveront grandement sa timidité. En 1969, elle fait un séjour dans un asile psychiatrique. Vain. Elle s’ouvrira, deux ans plus tard, les veines dans sa baignoire, à  48 ans.

Tattooed man at a carnival, Maryland - 1970

Hermaphrodite and dog in a carnival trailer, Maryland - 1970

Dominatrix embracing her client, New York - 1970

Untitled - 1970 -71

A jewish giant and his parents at home in the Bronx, New York - 1970

DIANE ARBUS au JEU DE PAUME DU 18 OCTOBRE 2011 AU 05 FÉVRIER 2012.

1 place de la Concorde
75008 Paris

Mardi de 12h à 21h
Du mercredi au vendredi de 12h à 19h
Samedi et Dimanche de 10h à 19h
Fermeture le lundi
Tél. 01 47 03 12 50

À propos de Aime Pi

-  C'est  tout  c'que  vous  trouvez  à  dire  ?                                                                                                                                            -  Ouais.  Allez  vous  faire  foutre.

Publié le 28 novembre 2011, dans Bouillon De Culture, et tagué , , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 10 Commentaires.

  1. J’ai pas autant kiffé que ce à quoi je m’attendais, j’ai eu quelques coups de coeur mais ça s’arrête là. J’ai pas aimé le fait que tous les repères arrivent d’un coup à la fin de l’expo, j’aime bien avoir ces repères avant de commencer et ça me fait d’autant plus aimer ce que j’ai en face de moi. -je crois que limite, ce que j’ai le plus apprécié, c’est le bouquin qu’il y avait à disposition dans l’avant dernière salle 8).

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  2. Très bon article pour une très belle expo.

    Petite astuce les filles : si vous dites à la billetterie que vous êtes vierge, l’entrée est gratuite. Ne me demandez pas pourquoi, mais c’est comme ça.

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  3. Ses portraits me font toujours un petit quelque chose, surtout les deux jumelles et le petit garçon dans Central Park. Roh et puis le portrait de Mia Farrow est superbe, tout est parfait dans cette photo ! (bien que je n’y connaisse pas grand chose) La photo des parents avec leur fils géant me fait toujours sourire, en fait ouais j’ai toute une histoire derrière la tête.

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  4. mathilde (kundera)

    Cette femme était incroyable. Elle savait ce qu’elle voulait,dans la vie comme dans son travail. Le malheur qu’il l’entourait à finalement eu raison d’elle,eternelle insatisfaite.

    Son travail est une un chef d’oeuvre de la photographie, elle a su montrer avec le « truc en plus » des gens,sans jamais tomber dans le pathos,jamais.

    Et oui effectivement, tout est posé , mise en place pendant de longues heures avant que la photo soit prise. Diane Arbus conduisait ses modèles jusqu’a elle obtienne le resultat qu’elle désirait.

    Bref autant dire que je l’aime.

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  5. Honnetement je connais juste deux trois photos de Diane Arbus mais sans jamais cherché plus loin et je trouve aussi qu’une fois expliqué son travail est super intéressant et je trouve cette femme passionnante pour ce que j’en découvre.

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  6. Super !! A vrai dire je ne considérais pas comme une priorité d’aller voir l’expo, mais après ton portrait j’ai très envie de voir ses photos en vrai, de les rattacher à sa vie et ses tourments !

    Pour dire un mot de son projet, sa démarche me parle beaucoup, pour moi la photographie n’est pas (nécessairement) supposée sublimer la vie, transformer une scène en un idéal, de composition,de lumière, je préfère largement les photos ratées (d’où mon vif intérêt pour les photos lomo, niveau gestion de la lumière on fait pas pire), hasardeuses, mais, qui, miraculeusement, racontent une histoire, capte un instant. Je suis tout de même curieuse de voir les photos de mode qu’elle aura pu réaliser pour Vogue et Glamour !

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    • Tu vois c’est marrant, ça m’a fait la même chose : quand tu m’as proposé de faire un article sur Diane Arbus je t’ai dit que je n’aimais pas trop son travail mais que son parcours m’intéressait, et en me penchant sur son parcours je me suis mise à aimer son travail, et maintenant je n’arrive plus à me décoller de ses photos. En fait je crois qu’elle m’en apprend beaucoup sur moi et sur mon travail, comme un déclic.
      Après par contre de ce que j’ai pu voir ses photos n’ont rien de raté, et quelque part elle sublime vraiment ses sujets, c’est pas ce qui saute aux yeux en premier mais elles sont toutes hyper abouties techniquement, y a pas grand chose qui est laissé au hasard. Elle avait un telle maitrise, justement, de la technique, qu’elle pouvait se payer le luxe de passer outre toutes les règles.

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  7. J’ai toujours trouvé son travail brute, direct et franc.
    Mais pas culotté pour autant. Juste honnête.

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  8. Certaines de ses photos me mettent super mal à l’aise. Ce qui, selon moi, veut dire qu’elle a réussi son travail.

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