Mon album de merde préféré : God Blesse, de Saez

Mars 2002, Jacques Chirac se fait cracher dessus à Mantes la Jolie et Saez sort son album concept, God Blesse, dans l’optique, à priori, de changer le monde, ou en tous cas de faire savoir que le monde, en l’état, est vraiment pas cool tu vois (je ne m’arrête pas sur le jeu du mot douteux du titre qui pourtant a le mérite de résumer parfaitement bien le cd).

Je viens d’avoir 18 ans et je trouve God Blesse « trop trop beau » (sic), tout comme son interprète, gueule d’ange cradingue à l’angine blanche permanente ne laissant filtrer de lui que des photos en noir et blanc où il arbore inexorablement ses plus beaux yeux de chien battu à mort. J’avais déja vu en Jeune et Con l’hymne d’une génération, la réponse française au Wonderwall d’Oasis, je ne me doutais pas à l’époque que j’étais juste tombée dans le traquenard de Saez, à savoir qu’il ferait du malaise des adolescentes un fond de commerce. Une sorte de Jena Lee des années 2000, avant l’invention du lisseur.

Mais en 2002 je m’en fous, je suis trop trop d’accord avec Damien (je l’appelle Damien parce que je fantasme très fort à l’idée de former un couple décharné, passionnel et destructeur avec lui), comme lui je trouve que le capitalisme, le nucléaire et la télévision c’est l’opium du peuple et qu’il faut faire quelque chose maintenant que Che Guevara n’est plus là. Quelque chose comme un double album où on crierait notre révolte de toute la force de notre voix de chat malade sur le disque 1, et où on jouerait des morceaux de piano pour se suicider sur le disque 2.

L’album s’ouvre sur les basses apocalyptiques et la guitare crevée de J’veux du nucléaire, une sorte d’écrin instrumental protégeant la voix cristalline de Saez qui éclate telle un furoncle au milieu de tout ce bordel : « ENFANT d’uneuuuuuh génératioooon ratééééée…« . La lente agonie débute alors : le nucléaire tue la planète, autant tous baiser sans capotes, les américains massacrent pleins de petits enfants innocents pour faire des manteaux avec leur peau et les mettre sur le dos de cette salope d’Ivana Trump, mais les enfants n’en ont plus rien à foutre puisque leur génération est tant empêtrée dans sa propre merde qu’ils n’ont pour seule ambition de se faire exploser la gueule par une bombe artisanale dans le RER B. VOILA. AMBIANCE.

La deuxième piste en remet une couche avec Solution. On prend les mêmes et on recommence : guitares criardes, basses au bord de l’explosion, avec Saez c’est un peu tous les jours la fin du monde. Monde dont nous n’attendons plus rien (particularité de Damien : il parle en notre nom à tous) : nous ne voulons plus de vos solutions, il n’y a plus de rêves pour cette génération, comme ça rime il sortira même un recueil de poèmes (que j’achèterais, bien sûr, et que je lirais avec ferveur le soir dans ma chambre à la lueur de mon Tam Tam). Je gagne un temps précieux dans l’écriture de cet article en vous disant que No place for us, 4ème morceau de l’album dit exactement la même chose, mais en plus mignon : c’est cette fois à sa chérie que Saez explique que notre génération est condamnée et que tiens, si on pleurait du sang ? Comme sur les gifs des skyblogs ? Ce serait bien non ???

Parce que Saez, ça n’est pas seulement un cri dans la nuit, c’est aussi un coeur qui bat : So Gorgeous, ou la déclaration d’amour d’un mec bourré en slow motion à une anglophone pas complètement brillante, est pour moi à l’époque le summum du romantisme. Si le mec philosophe grave en français « Impossible est l’amour, possible est de s’aimer« , en anglais ça tient de l’expérience sensorielle « Because you are so gorgeous, even if I won’t be alone you are, so gorgeous, even if I never wanted to fall » : et non, tout ça ne veut rien dire ! Isn’t it love a le bon goût d’être au moins un tout petit peu dansant et tout en anglais, l’accent de Saez aidant on ne pite pas un mot, et c’est sûrement mieux comme ça.

Le problème de Saez c’est que quand il te parle d’amour, même à distance dans une chanson, tu sens bien que c’est juste pour tirer un coup. Et comme en plus il paraîtrait que le sexe fait vendre, multiplié par le fait que Saez est signé chez Universal et bosse donc pour ces connards de capitalistes sur qui il chie, soyons cyniques jusqu’au bout et calons une petite chanson sur la sodomie et comment humidifier tout ça pour que ça rentre comme papa dans maman, après tout on est plus à ça près. Sexe est donc une ode électro à la langue rentrant dans la boite à caca. « Ca fait du mal, ça fait du bien« . Damien connait visiblement bien son sujet.

Et j’en arrive à l’apothéose de cette œuvre magistrale : J’veux qu’on baise sur ma tombe, élu meilleur morceau du monde par moi même en terminale. Chanson d’amour morbide pour adolescentes névrosées et un peu connes, J’veux qu’on baise sur ma tombe, c’est un peu comme si Benoit des Kyo faisait exprès de chanter mal (et je pèse mes mots) la chanson d’amour ultime, celle qui traverse l’espace temps pour faire niquer les morts avec les vivants, celle qui survit et s’épanouit même quand il est mort le soleil, J’veux qu’on baise sur ma tombe c’est un peu comme si Orphée, en arrivant aux Enfers, avait non seulement regardé Eurydice mais l’avait en plus galochée devant Adès et en lui demandant s’il avait pas 100 balles et un mars.

Et comme un bon album pour adolescentes attardées ne se fait pas sans sa dose de pathos, Saez termine le morceau en saluant un certain nombre de personnes (ses amis, ses frères, son pays, ses parents) ainsi qu’un certain Francky : alors qui est-il, mystère et boule de pue, toujours est-il qu’il est cité et attise ainsi la machine à fantasmes de la jeune fille en fleur : est-ce un pote mort une aiguille dans le bras ? Est-ce un frère mort du sida ? Est-ce, en fait, une plaie béante dans le ventre de Damien qu’on ne demande qu’à panser ? (avec la langue s’il le faut ?)

Le pire c’est qu’à tous les coups c’est Francky Vincent, et Damien Saez nous aura encore enculé.

Je m’arrête là dans cette chronique de mon album de merde préféré, album que je chérie malgré tout comme un enfant continue de trainer son doudou plein de germes partout où il se rend. Je ne vous ferais pas l’affront de vous décrire les autres chansons du disque 1 puisqu’elles ne sont, à ma connaissance, que des interludes nébuleux pour la plupart, et je m’abstiendrais de vous parler de Katagena, l’instrumentale de l’enfer, ou le summum de la musique d’ambiance péteuse, ultra dépressive et prétentieuse, une sorte de bande son de l’œuvre de Lolita Pille en pire.

À propos de Aime Pi

-  C'est  tout  c'que  vous  trouvez  à  dire  ?                                                                                                                                            -  Ouais.  Allez  vous  faire  foutre.

Publié le 12 juin 2011, dans Bouillon De Culture, Mon album de merde préféré, Musique, et tagué , , , . Bookmarquez ce permalien. 28 Commentaires.

  1. Brillant.

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  2. Lol Pas mal du tout cet article.
    Mais pour vous faire une bonne idée de l’artiste, je vous conseille d’écouter cet interview quand même:
    http://m.youtube.com/index?hl=fr&desktop_uri=%2F%3Fgl%3DFR%26hl%3Dfr&gl=FR#/watch?v=KNIseFR2KCc

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  3. Aime Pi, tu sais grave écrire, bravo pour le post il est hilarant du début à la fin !

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  4. vs ete tous a cracher sur sa gueule mais il me semble qe lui a reussi sa vie par raport a vous

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    • C’est vrai. Lui, c’est un wineur, un self-made man, un Tony Montana. Il est devenu riche et célèbre et il a le courage de chanter encore pour nous, cons de pauvres même pas reconnaissants.

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  5. après avoir relu cet article effectivement il est marrant et je réalise l’erreur que j’ai fait.
    A propos de toi hein pas de l’album ^^ c’est plutôt bien écrit et tourné et plein de bon sens et d’humour

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  6. Je suis parfaitement d’accord avec ton article.
    Il est extrêmement bien écrit, mais surtout, m’a permis d’extérioriser une haine que je contenais depuis maintenant une semaine.
    En effet, il y a une semaine, l’odieuse ci-dessous m’a fait écouté une des chansons de Saez, dont je me suis empressé d’oublier le titre et les paroles.
    En effet, depuis une semaine, je ne peux m’empêcher de penser à sa façon horripilante de chanter, à sa façon si particulière d’exister qu’il devient l’incarnation de nombreuses choses que je déteste. Quand j’écoute du Saez, je suis pris de nausées, mes yeux se révulsent, et je hurle sans raisons. Maintenant que tu as mis des mots sur ce mal interne, je peux de nouveau vivre en société.

    Un grand merci, je lirai tes autres articles.

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  7. Je suis tombée sur ton article par hasard (enfin pas tout à fait par hasard, c’était en cliquant sur une photo de Saez sur google images). Oui je cherchais des photos de Saez… Owiiii je suis une groupiiiiiiiie !
    Mais revenons à ton article, j’ai (re)découvert Saez il n’y a pas longtemps, et ça ne me déplaît pas, mais je dois dire que ça ne m’a pas empêché d’aimer ton article ! Ton article est vraiment drôle et j’comprends qu’on puisse penser que Damien (oui, moi aussi je fantasme très fort à l’idée de former un couple décharné, passionnel et destructeur avec lui) est un chanteur pour ados-pseudo-rebelles&dépressifs (ce qu’il est un peu, en fin de compte). Mais ses textes sont plutôt bien écrit (du moins, en français), un peu trop peut-être… Si j’ai bien compris, tu as toi aussi eu ta période Saez? Aujourd’hui (en tant qu’adolescente absolument pas dépressive mais fortement engagée, notamment contre le capitalisme!) j’adore, mais peut-être que demain, avec du recul, je trouverai qu’il a effectivement une voix de chat crevé et des textes un peu trop sombres uniquement destinés aux ados rebelles !
    En tout cas, j’suis contente d’avoir découvert ce blog, je m’en vais lire d’autres artiiiiicles !
    Et comme dirait Saez, avec son bel accent anglais, Fuck the society, quoi !

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  8. Mouais j’arrive pas a saisir le fond du texte on sait pas si tu l’apprécies ou pas perso je trouve pas qu’il « a une voix de chat crevé » mais bon c’est facile de parlé quand on ne fait rien.En même temps c’est propre a l’espèce humaine de critiquer tout ce qui lui semble dénué de sens ou alors serait ce les paroles qui vous semblent trop réac’-anarchistes ?!
    Mais bon il a fait des poèmes telles que « les hommes »
    Et puis Saez a toujours dit « qu’il ne chante pas  »
    Pour terminer j’invite toutes les personnes a écouter avant de juger après si sa vous plait pas c’est pas la peine de le descendre non plus.

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    • Damien ? c’est toi ?

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      • Non je ne suis pas l’artiste de l’album qui a sans doute mieux a faire que de répondre à ces « boutades ». A priori tu sembles être l’auteur de cet « merveille » ? Peux tu m’expliquer l’intérêt de ce genre de texte ? Car descendre un artiste parce que tu n’apprécies pas ses créations n’éprouvent pas grand intérêt a première vu.Mais bon peut être es tu un artiste ? A première vu je ne pense pas mais tu suscites l’incompréhension de ma part donc finalement tu l’es peut être ?
        Question : tu ne sembles pas apprécier ce qu’il fait mais dit moi alors quelle artiste français « juges tu » de bon ? Car je pense pour ma part que Saez est une bulle d’oxygène dans la merde de variété de chansons qu’on nous sort.
        Bien sur ne me cite pas Jacques Brel , ou Brassens , je parle d’artistes de ce siècle récent .

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        • Oui, merci, je sais bien que tu n’es pas Saez, c’était une boutade, à nouveau…
          L’intérêt c’est juste la liberté d’expression, j’ai le droit de dire ce que je pense de l’album de Saez, quoi que j’en pense, tu as le droit de dire ce que tu penses de mon texte, quoi que tu en penses. Que je sois une « artiste » ou pas ne change rien à ce principe, exposer son travail c’est s’exposer aux critiques de toutes origines, et ce malgré les fans enragés…
          Maintenant on va pas faire un concours de chanteurs français, c’est quand même assez stérile comme débat, je ne sais pas si tu es familier de l’adage « les gouts et les couleurs… », tout ça.

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          • Oui effectivement c’est assez stérile ce débat comme le sont tes textes ;D. Tout pouvoir dire sous le couvert de la liberté d’expression sa va un moment mais il ne faut pas abuser non plus c’est a cause de sa qu’il y a eu des persécutions. Bref je sais que tu n’as pas fait sa dans le but profond de critiquer tout et tout le monde juste que parfois tes « boutades » sont quelques peu sarcastique , agressive et vulgaire pour certaines.Mais bon je respecte c’est ton style a même de pouvoir refléter ta personnalité ^^.

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  9. Mais c’est tellement ça. Tout. J’aurais pas dit mieux. Même ressenti. Sa gueule d’ange qui te faisait t’imaginer que toi aussi t’était tellement pas bien et tellement d’accord avec lui, que forcément si tu le rencontrait, ben ce serait ton pote, et vous referiez le monde ensemble. C’est marrant quand on y repense. Mais pareil, je ne renie rien, j’écoute toujours ces 2 premiers albums avec plaisir, mais avec du recul. Enfin voila, +++

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  10. Mightyprout

    Ahahah, magnifique article, j’ai bien ris aussi (en particulier pour la vanne d’Orphée aussi) ! Bravo !!

    PARCEQUON EST JEUNE ET COOON PARCEKIL SON VIEUX ET FOUUUUU !!!!!!!!!

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  11. Khiera je propose qu’on fasse des bébés ensemble, ils auront une plume acérée, un appareil photo greffé à la main, un humour trop terrible et tes beaux yeuuxxxxx/

    (OUAIS CA VEUT DIRE QUE TON ARTICLE EST TROP GENIAL EN GROS)

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  12. Franchement MERCI ! j’ai ris du début à la fin ! Même si j’étais pas fan du tout de Saez, je connais que Jeune et con et Je veux qu’on baise sur ma tombe, j’étais pas très rebelz de la life fuck la société à 13/14 ans xD
    J’ai hâte de découvrir ton prochain album de merde préféré 😀

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  13. Je connais de nom, ça ne m’a jamais tenté et bizarrement, là, encore moins. Allez savoir… !

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  14. (Au bout de la 3e lecture je viens d’élire mon passage préféré :  » […] celle qui survit et s’épanouit MEME QUAND IL EST MORT LE SOLEIL  »
    Ah c’est bon ça m’a tuée)

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  15. J’ai eu un fou rire NON STOP à la lecture de l’article !
    J’étais peut-être un peu trop jeune pour être intéressée par Saez mais forcément j’en ai entendu parler.
    Alors oui parfois j’ai complexé, puis quand je voyais le type de personnes qui étaient fan (dont certaines connaissances) je me disais que non non je voulais pas être comme elles, parce qu’elles avaient l’air vachement déprimée quand même et que p’tet Saez c’était Belzebuth.
    Et le point final est mis : tu viens de me confirmer que je ne suis sans doute pas passé à côté de grand chose ^^

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  16. Y’aurait tellement de choses droles a citer que je vais m’en abstenir, mais la blague avec Orphee et Eurydice m’a fait vraiment rire!

    C’est la que je suis fiere de ne jamais avoir aime Saez dont les paroles pseudo engagees ne m’ont jamais vraiment touchees, en plus sa voix de prepubere m’agacait pas mal.
    Un article extrement drole rempli de haine et bien ecrit, se lit en une traite, bref on en veut encore!!

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  17. MDR cet article !!! Merci mille fois, ça résume exactement ce que je pense de Saez, c’est excellent ! Ados, mes copines étaient toutes fans aussi, perso j’ai toujours détesté (enfin sauf « Jeune et con »), il me fait pisser de rire ce mec, avec sa voix de chat crevé (c’est exactement ça oui) et ses paroles trop rebeeeelles. Pour moi la pire reste quand même « J’ACCUSE… au mégaphone dans l’assemblée ! »

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  18. Effectivement, je crois que Loops a bien trouvé le mot, c’est « savoureux »!!
    J’ai jamais été une grosse fan de Saez mais je me souviens de mes copines qui en étaient dingues et surtout la chanson « jeune et con » et le clip « sexe » avec un ange déchu et un diable (blablabla) et la tirade en anglais (du Shakespeare ??? je me souviens plus très bien!). Anway! super article!

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  19. Et construiiiiire un empiiiiire juste pour ton souriiiiire !
    Je suis pas certaine que Saez espérait qu’un jour cette phrase se retrouve sur tout les statuts msn et autres skyblogs, mais bien tenté.

    AVOUONS LE, on a toutes eu une période  » Putain c’est trop vrai, on est jeunes et cons puisqu’ils sont vieux et fous, c’est trop profond  » , mais j’admets que j’en ai pas été aussi fervente que toi, je connaissais ces deux chansons ( J’veux qu’on baise sur ma tombe, rien que le titre aurait du m’avertir du pathos muy original à venir )

    Merci pour cet article criant de vérité et tellement savoureux.

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  20. « c’est un peu comme si Orphée, en arrivant aux Enfers, avait non seulement regardé Eurydice mais l’avait en plus galochée devant Adès et en lui demandant s’il avait pas 100 balles et un mars. »

    Rien que pour cette phrase (et celle avec Francky Vincent), tu as mon admiration éternelle. Et puis j’adore la dernière image avec les petites phrases, pas du tout cliché 🙂

    Maginfique article (même si à part Jeune et Con que j’aime à peu près comme toi, c’est à dire pour son côté ado-rebelle-cuvée-1999) j’aime pas trop Saez, en grande partie à cause de la voix de chat malade, j’ai mal à ses amygdales), c’est tellement ça !

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