Les voyages en train

Chaque fois c’est la même chose, et n’ai pas envie que ça change. Comme si j’étais au cinéma, ou dans un parc, je m’assois et j’attends. Je savoure ce moment d’attente, cette fissure spatio-temporelle, celle où je ne suis plus actrice, mais seulement spectatrice. Et le spectacle n’est jamais le même, le programme change tous les jours et me surprend et m’émeut.

La locomotive peut partir.

En fond sonore : « Le Corail intercités en destination de Paris Saint Lazare partira dans quelques instants… »

Il fut un temps où les gares et les trains faisaient parti de mon quotidien, au même titre que la fac et ma chambre. A force de les avoir côtoyées, elles étaient presque devenues ma deuxième maison, où se trouvait ma place attitrée, où j’attendais d’arriver soit à la fac, soit chez moi, et au bout du chemin, une grande tristesse, ou des perspectives plus réjouissantes, qui me feront retrouver le sourire.

Parfois, je ne fermais pas les yeux. Et j’observais…

Où va cette femme, avec cette valise presque aussi grande qu’elle ? Que veut nous dire ce visage perdu et craintif?

A quoi peut bien penser cet homme, qui semble fixer son téléphone juste pour faire semblant d’avoir les yeux occupés?

D’où vient cet homme aux billets qui ne ressemblent pas à ceux de la SNCF ? Pourquoi vient-il ici ?

Et si la fille derrière moi était en train de rêver ? De quoi ? De qui ?

Comme d’habitude, aujourd’hui, je ferai semblant d’écouter de la musique et couperai le son dès que la première personne aura commencé à dire le premier mot.

« Et vous habitez où exactement ? »

Cette question, je l’ai entendue tellement souvent et la connais par cœur : elle est signe d’une nouvelle rencontre dans le train. Et les autres, toutes celles qui ponctuent et bâtissent une première discussion, où allez-vous ? A Rouen, très bien, moi aussi, que faites-vous là bas ?

Je compte les minutes, jusqu’à ce que le locuteur (bien souvent la locutrice) se lasse.. ou donne son numéro. Derrière moi commence peut être une belle histoire d’amour, et je n’en saurai rien car à partir du prochain arrêt, ils ne feront plus jamais partie de ma vie, et ce malgré les 2 mètres qui nous séparent en ce moment.

Et mon esprit s’évade.

Des plaines aussi vertes que monotones entre deux grandes villes, aux bâtiments d’une ville jusqu’ici inconnue, je fixe la vitre qui me sépare du monde extérieur, avançant à grande allure. Parfois des paysages que je connais par cœur où je n’ai pourtant jamais mis les pieds, puis parfois de nouveaux paysages, inconnus, laissant entrevoir une ville dont je ne connais rien.

Puis arrivé à bout de course, quand le train s’arrêtera, j’irai m’asseoir sur une chaise de la gare, regarder ces gens qui se croisent sans jamais se connaître, sans jamais faire attention à l’autre pourtant si proche. Entre un café et le « 20 minutes » j’imaginerai le destin de tous ces gens qui prendront le même train que moi, partageront une heure d’ennui à fixer une fenêtre faute de mieux et je leur dirai au revoir sans jamais ouvrir mes lèvres.

Le contrôleur me souhaitera peut être un bon voyage, ou me regardera d’un regard usé et antipathique, bonne journée, schönen Tag noch, le train arrivera bientôt chez moi, je ne fais pas attention à des politesses feintes.

Un idiot a encore essayé de frauder, tout le monde le regarde, et vient la partie passionnante du spectacle, enfin il se passe quelque chose, tout le monde aimerait en connaître le dénouement, vous achèterez un ticket la prochaine fois, promettez le moi hein, rien de bien grave et les voyageurs détournent à nouveau le regard du mini-drame et retournent à leurs occupations forcées, leur pull à tricoter ou la nouvelle histoire d’amour de Marc Lévy.

« Le Corail intercités arrivera à Paris Saint Lazare dans quelques instants, Paris Saint Lazare, son terminus! »

Le spectacle est fini, les acteurs sortent de la scène pour rejoindre les coulisses, et je peux enfin me jeter dans tes bras.

À propos de Greta

Française (de papiers), Allemande, Québécoise et Suisse de coeur qui a mangé l'ironie et l'humour (périmé) avec la cuillère. Manie la langue et la culture allemande comme les mecs manient l'hélicobite. J'aime les épinards, la littérature française et regarder "Confessions Intimes". J'aime pas la guerre, le racisme et la croûte des gâteaux.

Publié le 2 juin 2011, dans Voyages, et tagué , , . Bookmarquez ce permalien. 3 Commentaires.

  1. T’as de la chance Rose, parce que s’il y a bien un truc que je regrette, c’est de ne jamais avoir vecu une rencontre dans un train, et pourtant Dieu sait que je l’ai pris souvent (aller-retours LH-Rouen tous les jours, et en Allemagne aussi…).
    Mais je vois souvent des gens de tous les horizons, d’ailleurs c’est drole parce qu’a CHAQUE fois que je rentre en France, avec le train Francfort – Paris, je tombe sur une classe d’echange 😀 La Gare de l’Est a une grande signification pour moi…

    Grey, le Shinkansen, c’est mon reve! Tu l’as pris?
    Ton paragraphe a quelque chose de Lost in Translation, ca doit etre quelque chose de voyager dans un train ou on annonce l’arrivee dans une langue qu’on comprend pas, j’imagine trop bien les paysages, la musique dans les oreilles, dans ton propre monde a contempler toutes ces nouvelles choses…

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  2. greymalkin

    Joli article! Ca te va bien!

    J’adore aussi les voyages en train, de préférence très long, pour me plonger dans le paysage en écoutant de la musique. Au Japon j’avais pris plein plein de train pour traverser le pays, et les retrouvailles avec les gares, au fil du voyage, étaient de plus en plus rassérénantes, c’était un moment de calme, sans stress (est ce qu’on va me comprendre ? où je vais au fait ? comment je suis censée ne pas me perdre là ?), les shinkansen (en plus ce sont de trains phénoménaux!), c’était un genre de fil rouge du voyage, un moment familier qui ponctuait 2 mois de pur dépaysement ! Du temps devant soi pour penser beaucoup ou à pas grand chose, avancer dans mon bouquin, me perdre dans le paysage… D’aussi bons souvenirs en fait, que le voyage en lui même !

    Bon les trains aussi c’était aussi le Corail, qui n’existe plus, entre Paris et Strasbourg pour retrouver mon copain – meilleur ami – copain, qui vit à Paris maintenant !

    Donc merci pour ton article qui ravive de chouettes souvenirs et je te souhaite encore plein plein de voyages en train !

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  3. Sympa, ct’article ! Ca me rappelles un truc : Un dimanche soir, je rentrais chez mes parents, et entre Paris Saint Lazare et Mantes La Jolie, un mec m’a abordée. Il était sympa, m’avait complimenté, et pendant ce temps là, je textotais avec mon copain. C’était agréable de parler à une personne dans le train. Ou encore, aussi une autre moment, qui lui est bien plus récent : Le train pour Paris St Lazare était plein, les « rangements » pour mettre les valises aussi, et je me suis donc assise à côté d’une dame,et on a parlés de la SNCF, du trajet qu’on allait avoir, etc… J’aime beaucoup prendre le train, mais surtout quand je vais rejoindre mon copain. Et, quand quelqu’un va avoir une fraude, tu te sens plus bête quand c’est à toi que ca arrives. Et quand le controleur est quelqu’un de poli (les controleurs sont parfois vraiment… Pas polis!), qu’il te dit « bonjour », « merci », « bonne journée/soirée/voyage ». D’ailleurs, je me rappele aussi d’un truc : Y’a deux/trois mois, j’étais dans le train en direction de Rouen, en train de manger un muffin, la musique à fond dans les oreilles, et donc, j’ai pas entendu le controleur arrivait, et… J’ai sursauté, il rigolait à moitié, m’a dit « bon appétit, il a l’air bon votre muffin », et ca a duré juste le temps de lui donner mon billet de train, puis, qu’il me le redonne, mais c’était agréable de parler l’espace d’un instant, avec un inconnu.

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